La leçon d’Al Capone : légalisez le cannabis !

Le lundi 30 avril 2012 par Soleillion

L’association Arrêtons la violence en Colombie-britannique (Stop the Violence BC) milite depuis des années pour la légalisation de la production, de la commercialisation et de la consommation du cannabis en Colombie-britannique. Bien loin d’être constituée uniquement de consommateurs ou de « fumeurs de joints », elle regroupe surtout des universitaires, d’anciens politiques, des policiers, des médecins, des juristes, dont un ancien juge de la Cour suprême de Colombie-britannique. Sa cause, néanmoins, vient de recevoir un soutien important de la part de maires en activités des grandes villes britanno-colombiennes dont celle du maire de Vancouver (une ville particulièrement touchée par le problème) sous la forme d’une lettre ouverte adressée au gouvernement de la Colombie-britannique.

Les arguments avancés sont assez simples : la prohibition du cannabis et de la marijuana aggrave le mal plutôt qu’il ne l’entrave. La prohibition favorise la culture illégale, engendre et encourage un vaste trafic clandestin animé par un large réseau d’organisations mafieuses - qui contrôleraient 85% du marché - accompagnées de leur criminalité habituelle.

Or, l’illégalité n’empêche absolument pas les jeunes de se procurer du cannabis en toute simplicité - 27% des jeunes entre 15 et 24 ans en fumeraient au moins une fois par ans en Colombie-britannique. Les prix ont même tendance à baisser et il leur devient presque aussi facile d’en consommer que du tabac.

C’est qu’en Colombie-britannique, la culture du cannabis est devenue une industrie à part entière. En 2004, l’Institut Fraser, une idécurie libérale et présentement favorable à la légalisation, estimait - les activités illégales par définition ne peuvent être qu’estimées - que la province comptait plus de 17.500 laboratoires de culture de cannabis [1] pour un marché de plus de 7 milliards de dollars canadiens. En 2008, l’inspecteur Brian Cantera de la Police montée du Canada (RCMP) à Vancouver, cité dans un article de la BBC, estimait à plus de 20.000 les laboratoires de culture clandestins à travers la province.

C’est que le retour sur investissement est intéressant. À cette époque toujours, le même institut chiffrait à 40% la rentabilité de la production illégale. La livre de cannabis (0,45 kilo) valait 2.600 dollars « en sortie de cave ». Une culture « commerciale » moyenne de 100 pieds de cannabis produisant à peu près 13,3 kilos de marijuana par récolte, et avec une moyenne de 4 récoltes par an, tout producteur pouvait espérer gagner à peu près 76.000 dollars [2], auxquels il faut déduire autour de 25.000 dollars de frais (location de la maison, électricité, etc.) plus les risques liés à l’illégalité : destructions des récoltes par la police ou des concurrents, vols, etc.

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L’économie regorge d’index en tout genre ; depuis 2010, même le cannabis à le sien : priceofweed.com (le prix de l’herbe) est un site collaboratif sur lequel les consommateurs indiquent le prix de vente de la livre de haschich dans leur ville, région, etc., ainsi que la qualité du produit vendu. Fondé sur la bonne volonté des participants, dont le nombre est indiqué en fonction des lieux, il est juste informel. Néanmoins, il permet de se rendre compte que la marijuana est très bon marché au Canada - sauf au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest ! - et sur la côte ouest des États-Unis. La Colombie-britannique, de loin, a le meilleur prix indiqué - qui est un prix moyen - dans l’Ouest. La marijuana reste cependant moins chère au Québec, au Nouveau-Brunswick et dans l’Île du Prince Édouard.

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La culture du cannabis reste donc extrêmement rentable en Colombie-britannique d’autant plus que la proximité de la frontière permet de vendre à des prix beaucoup plus élevés aux États-Unis. En 2004, toujours, l’Institut Fraser estimait que, pour 17.500 laboratoires, la Colombie-britannique produisait 416 tonnes de marijuana et en exportait 385. Elle en consommait entre 21 et 54 tonnes (en fonction des estimations des capacités de production), le reste étant écoulé dans les autres provinces canadiennes.

Néanmoins, si le problème de la production de cannabis se pose avec tant d’insistance en Colombie-britannique, alors qu’il se pose moins dans les autres provinces canadiennes - sauf en Ontario et au Québec -, c’est en partie parce que la détention comme la production de cannabis y sont beaucoup plus tolérés. Selon l’Institut Fraser, 13% seulement des possesseurs de cannabis arrêtés sont inculpés en Colombie-britannique contre 60% dans le reste du Canada. La plupart des producteurs clandestins découverts par la police ne passent pas une seule journée en prison. Il est donc beaucoup moins risqué, outre le climat plus favorable, de produire du cannabis en Colombie-britannique que de le faire ailleurs.

+ le rapport de l’Institut Fraser est téléchargeable ici.

La tolérance de Vancouver permet même à la ville d’avoir son propre marijuana café [3], le New Amsterdam Café, dans lequel, à la différence d’Amsterdam, il n’est pas possible d’acheter de la marijuana ou du haschich. Il faut l’apporter avec soi - mais où la trouve-t’on ? Le café, lui, ne vend que des accessoires et fournit l’espace.

Pour les partisans de la légalisation, durcir les lois - ou simplement les appliquer plus sévèrement - ne changerait rien au problème. La prohibition de l’alcool dans les années 30 aux États-Unis est souvent donnée en exemple. Elle n’a pas lutter efficacement contre l’alcoolisme, mais elle a considérablement enrichi le crime organisé. En revanche, la dépénalisation de la production a complètement tarie cette source de financement de la mafia puisque d’importantes sociétés privées sont arrivées sur le marché, transférant l’argent du crime... vers l’état ; car tous les débats sur la dépénalisation ont leur volet fiscal et économique.

L’offre illégale répond à une demande. Les partisans de la légalisation considérant qu’il est préférable que le marché soit libre et renfloue les caisses publiques, via des taxes, plutôt qu’il alimente celles des organisations mafieuses. Dépénaliser la consommation, comme c’est pratiquement déjà le cas dans les faits, sans dépénaliser la production est, au contraire, une position extrêmement favorable au crime organisé : cette situation lui donne un marché captif. Al Capone, avec l’alcool, aurait adoré.

D’un point de vue médical et de santé publique, la dépénalisation permet de parler des risques liés à la consommation, de faire des recherches, etc. Là encore, avancent les partisans, la lutte contre l’alcoolisme ou celle contre le tabagisme se sont faites de façon plus efficaces dans le cadre de la dépénalisation que dans celui de la prohibition. En outre, toutes les sommes allouées à la répression et aux forces de police peuvent être (théoriquement) transférées à la prévention et aux services de soins.

Mais, là encore, le cannabis devient un marché de la santé. L’usage légalisé du cannabis à des fins thérapeutiques, par exemple pour alléger les souffrances liées aux longues maladies (sclérose en plaque, sida, etc.) dans de nombreux états américains a permis la création de tout un secteur médical. Des sites comme marijuana doctors, par exemple, mettent désormais en relation les habitants de Vancouver et de la province avec les médecins soignant à base de cannabis aux États-Unis.

Le soutien des maires en exercice à l’association Arrêtons la violence en Colombie-britannique n’est donc pas un acte isolé, mais l’aboutissement d’un processus. Comme le rappelle le site Stopthedrugwar.org (Arrêtons la guerre de la drogue) l’association a déjà reçu le soutien de quatre anciens maires de Vancouver, en novembre 2011, du Conseil des officiers de santé de Colombie-britanniqueen décembre, et de quatre anciens procureurs généraux de la province en février.

Des voix s’élèvent donc un peu partout en Colombie-britannique, au Canada comme de l’autre côté de la frontière, en faveur d’une certaine légalisation du cannabis et une harmonisation des lois. L’état de Washington et le Colorado tiendront, en 2012, des votations dans ce sens. 14 états usaniens ont, pour leur part, d’ors et déjà mis en place des procédures de dépénalisation de la possession et de la consommation, en commençant souvent par la consommation à des fins thérapeutiques.

+ Cette page de Ballotpédia (voir ici) recense toutes les initiatives, votations, etc., prisent par 18 états américains. On s’aperçoit que depuis quinze ans, la tendance est largement à la dépénalisation [4]

Des voix en accord avec la majorité de la population si l’on en croit plusieurs sondages récents menés par Angus Reid .

Celui mené en Colombie-britannique [5] pour Arrêtons la violence tend à confirmer la grande tolérance vis-à-vis de la marijuana dans la province :

 55% pensent que la marijuana n’est pas une drogue dangereuse ou qui rend dépendant [6].
 52% estime que sa consommation ne conduit pas nécessairement à l’usage de drogue plus dures comme la cocaïne.
 58% (et 11% d’indécis) ne jugent pas la consommation régulière de cannabis plus dangereuse que la consommation régulière d’alcool...
 et 50% (et 10% d’indécis) qu’elle n’est pas plus dangereuse que la consommation régulière de tabac.

+ Ce sondage sur la perception du cannabis en Colombie-britannique est consultable ici.

La NORML, l’Organisation nationale usanienne pour la réforme des lois sur la marijuana, fondée en 1970, reprend à son compte le volet américain d’un autre sondage
portant sur les alternatives aux peines de prison [7] au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Unis : 74% des répondants usaniens seraient favorables à des peines alternatives à la prison pour la détention de marijuana. Ils sont 68% à répondre la même chose au Canada.
Pourtant, les partisans de la légalisation du cannabis ne sont pas au bout de leurs combats. Au Canada, la législation sur les drogues est du ressort fédéral et c’est à ce niveau seulement que le cannabis pourra être ou ne pas être complètement légalisé. Or, le gouvernement Harper n’y est pas favorable et envisage même de durcir la législation ; mais le débat au Canada dure depuis 40 ans et même si les choses changent, il risque de durer encore.

D’ici là, si l’herbe est un peu plus verte qu’ailleurs en Colombie-britannique, c’est uniquement grâce à la grande tolérance dont fait preuve la province.

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Source de l’illustration Smokey, nom de l’ours présent sur cette image, est la mascotte du service des forêts des États-Unis dans sa lutte contre les incendies. Il est ici détourné.

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Le 9 juillet 2013 par Soleillion

Auteur :

Renart Saint Vorles est un coureur des bois numériques nord-américains.

Notes :

[1Il s’agit d’une estimation moyenne

[2l’article de la BBC donne un gain de 80.000 dollars par an pour 120 plants de cannabis, ce qui est à peu près équivalent

[3Plusieurs marijuana cafés se sont créés à Vancouver en 2004, mais ils ont été détruit suite à des incendies. Celui-ci est leur hériter.

[4La Californie a bien essayé dès 1972. La même année au Canada, la Commission LeDain recommandait également la légalisation du cannabis.

[5auprès de 800 personnes

[6Le sondage comporte quatre choix par réponse. Les pourcentages donnés ici sont la somme des réponses « plutôt positive » et « très positive »

[7mené auprès de plus de 1000 personnes dans les trois pays


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