Des séries américaines à Paris

Le jeudi 25 avril 2013 par Soleillion

Le festival Série Mania du Forum des images à Paris en est à sa quatrième édition (ou saison pour respecter la terminologie du genre). Son nom l’indique, il est entièrement dédié aux séries télévisées du monde entier.

Pour l’Amérique du Nord, les États-Unis, évidemment, se taillent la part du lion ; même si, comme le note les organisateurs, il y a un "relatif assèchement de l’inventivité américaine du côté des chaînes gratuites du network (réseau) où adaptations et remakes (reprises) prennent le pas sur les véritables nouveautés" et la multiplication, mais qui n’est pas propre à l’Amérique, de mini-séries sur une seule saison. La crise est là comme ailleurs.

Mais comme à Série mania, on y voit des "séries du monde", on y voit des séries, donc, qui ne sont ni américaines, ni britanniques, ni françaises mais par exemple... canadiennes - soit tournées en français en cette Amérique du Nord dont le chef d’état est la reine d’Angleterre !

Mon meilleur ami est une courte série québécoise de 5 épisodes de 60 minutes. Deux grands amis réalisent un rêve et escaladent] une paroi du côté du Yosémite en Californie. L’un tombe. Il se rompt le cou et ne se relève pas : il est tétraplégique ; toute la série s’articule autour de se brutal changement dans une vie jusqu’ici idéale : Alex a une femme amante, de beaux-enfants (qui l’aiment aussi), une carrière réussit, il nage dans le bonheur et a beaucoup de projets d’avenir. Mais pour lui, tout s’arrête et il doit faire face. Faire face à son corps qui ne répond plus et à la dépendance des autres, pour tout. Chier, manger, baiser, tout devient compliqué. Pour lui comme pour les autres, sa femme, tout d’abord, et son meilleur ami, culpabilisé...

La culpabilité est aussi le thème d’un huis clos, on ne peut plus clos. Unité 9, autre série québécoise présentée lors de Série mania se déroule dans une prison de femmes. À l’évidence, le Québec excelle dans la série sociale.

Marie Lamontagne, enseignante, incarcérée pour tentative de meurtre, est présidente du Comité des détenues. En cela, elle les représente et veille particulièrement à la réadaptation des filles à la vie dehors. Marie va particulièrement s’opposer au directeur de la prison. Ils n’ont pas tout à fait la même vision des détenues, l’une est gestionnaire, l’autre un peu plus humaine. Autour d’eux évoluent les autres prisonnières et le personnel carcéral, mêlant des destins brisés et des espoirs en renaissances...

C’est tout pour le Canada. Passons maintenant au Sud.

Histoire de filles encore, la série usanienne mise en valeur par le festival, lors de la soirée de clôture est Girls. Quatre jeunes filles vivent à Brooklyn, autour de Hannah, jeune diplômée et écrivain en herbe. Elles découvrent la vie "une erreur à la fois" et naviguent donc entre déboires et espérances professionnels, sexualité libérée ou, au contraire, pudibonde (et souvent tout simplement des échecs amoureux). Une série new-yorkaise, dans un esprit très Woody Allen, qui a remporté deux prix lors des derniers Golden Globes.

La présentation des deux premiers épisodes de Legit nous fait passer sur la côté Ouest et nous replonge dans la rencontre entre valides et handicapés. Jim, un jeune acteur australien complètement infréquentable tente sa chance à Los Angeles pour mettre un peu d’ordre dans sa vie et donc devenir plus legit, plus présentable, en somme, surtout au yeux de sa mère. Cependant, réussir à Hollywood n’est pas simple et Jim finit par occuper ses journées à prendre en charge le frère de son colocataire, vieux garçon et ami, cloué dans un fauteuil roulant par une grave maladie : il est lui aussi tétraplégique...

Même si, a priori, les histoires se ressemblent, contrairement à Mon meilleur ami, Legit use (et abuse) des contrastes forts entre les personnages pour créer des situations cocasses et humoristiques, sans redouter l’humour grinçant, voire vulgaire. Peut-être parce qu’au fond des choses, il y a plus d’humanité à emmener un jeune tétraplégique se faire dépuceler à Las Vegas que de l’enfermer dans une chambre d’hôpital aseptisée.

Toujours sur le ton de l’humour, la série The New Normal, aborde la question chaude de l’homoparentalité et des aspirations homosexuelles à se fondre dans la normalité la plus banale : réussites sociales et professionnelles, petite vie de couple sans nuage, mariage, mais... pas d’enfants. Une grande tache au tableau petit-bourgeois de la famille normale que les deux messieurs souhaitent ardemment nettoyer. Le détonateur humoristique et pierre d’achoppement du bonheur parfait de ce couple modèle, est la grand-mère. La mère de la femme, divorcée, qui doit porter l’enfant de Bryan et David. Elle vient de l’Ohio, autrement dit de chez les ploucs de la campagne, donc, évidemment, elle est homophobe...

Avec Banshee, on ne rigole plus et on se pose moins de questions existentielles. Rien de plus normal, la série nous emmène justement dans l’Amérique profonde des ploucs ultra-campagnards. L’Amérique curieuse de la Pennsylvanie des Amish, ces gens qui n’ont pas compris que le progrès était la meilleure des choses qui soit et qui s’efforce de vivre, pour les plus radicaux d’entre eux, comme au XVIIe siècle : au pays de l’automobile, ils roulent en calèches ; à l’heur de l’anglais, eux, parlent le Pennsilfaanisch Deitsch (Pennsylvanian Dutch), un dialecte allemand de la région du Rhin ; les Amish, surtout, prônent l’autosuffisance, le retirement du "monde" et... la non-violence !

Tout dépend évidemment du point de vue : lors d’une scène d’une rare brutalité, l’héroïne est exclue de sa communauté de papas barbus parce qu’elle a lu, en cachette, des magazines féminins et a succombé aux charmes diaboliques du rouge à lèvre et du maquillage...

C’est dans cette Amérique idéologiquement louche, réfractaire au consumérisme, conservatrice voire rétrograde que se déroule l’action : un ex-taulard particulièrement musclé et au passé un peu sulfureux s’y improvise shérif - pour rappel, les shérifs sont la plupart du temps élus aux États-Unis ! - fait régner sa loi à lui, à sa manière, pour récupérer sa femme qui vit dans la bourgade. On tire ; on cogne ; on torture ; on saigne. Parce qu’à côté des Amish cette Amérique des profondeurs et presque hors du monde et du temps est le refuge idéal pour tous les sales types possibles.

La série joue avec les codes du Western et assume son côté série B. Les personnages sont tranchés, excessifs, à la limite de la caricature. L’héroïne bannie des Amish devient bientôt une femme tout à fait banale : maillot de corps, sueur, sang, cheveux au vent, et toutes sortes de gros calibres à la main.

Country pour tous ! Nashville a, encore une fois, un nom de ville éponyme, mais célèbre celui-là. C’est le côté culture de l’Amérique profonde : l’univers de la musique country dont Nashville, Tennessee, est la Mecque. Genre longtemps décrié par les élites urbaines américaines, justement parce que c’était une musique de ploucs ruraux, la musique country a réussi à redorer son blason depuis quelques années. Aujourd’hui, elle est même tendance. C’est peut-être pour cette raison qu’on peut en faire une série.

Nashville, est une sorte de Dallas. Une étoile montante concurrence une étoile déjà haute et un peu plus sur le déclin. Mais elles doivent faire une tournée commune. On retrouve l’ambition et la rivalité, la protection des intérêts, les trahisons, les tromperies et les alliances.

La friction des ambitions se retrouve dans d’autres séries au cadre américain plus connu, plus urbain, plus sérieux. On y joue sécurité nationale ou gros sous. Les liens avec le cinéma y sont plus étroits : on y retrouve Gus Van Sant ou Kevin Spacey. The House of Cards (Le Château de cartes) est une reprise d’une série anglaise des années 90 transposée dans l’univers byzantin des arcanes du pouvoir de l’état fédéral, à Washington. Kevin Spacey y incarne un candidat au Secrétariat d’état, à l’ambition aussi froide que résolue, qui apprend, au dernier moment, que sa place a été donné à un autre. Lui et sa femme en sont si légèrement meurtris qu’ils ne vont plus penser qu’à une chose : retrouver le pouvoir et se venger.

Boss, c’est à peu près la même chose, mais à la mairie de Chicago, indétrônable capitale de tous les coups mafieux depuis Al Capone. On ambitionne, on préserve ses intérêts et surtout les apparences pendant qu’on se détruit et qu’on se trahit sans quoi la vie ne serait pas drôle... surtout pour un boss !

Dans l’histoire américaine, ce terme désigne bien plus qu’un patron : le boss a toujours été un politicien utilisant des techniques mafieuses pour prendre le pouvoir et le conserver. Le boss a toujours avec lui une machine, autrement dit ce système mafieux d’échange de services et de protections - dont le film Gangs of New York donne un bon exemple - qui lie entre eux le politicien, la petite frappe, l’homme d’affaire, le banquier et l’électeur docile et intéressé.

Mais cette fois, le Deus ex machina qui va compliquer la vie de ce maire tyrannique, c’est la maladie. Une maladie dégénérative qui le prive petit à petit du contrôle de lui-même et de ses facultés. Mais lui n’a pas de meilleur ami ou d’acteur en rade pour lui venir en aide. Au contraire, il doit se taire et faire semblant de rien, s’il veut garder son pouvoir...

L’ennemi de l’intérieur, c’est aussi le thème de The Americans (Les Américains). Retour une nouvelle fois dans les arcanes du pouvoirs washingtonien, mais dans les années 80, en pleine-guerre froide réchauffée par Reagan. Deux taupes du KGB, "cellules dormantes" depuis leur adolescence, Phillip et Elizabeth, sont cachés sous l’apparence d’une famille modèle américaine. Sauf qu’à force de duplicité, ils ne savent plus eux-même qui ils sont. Et si les apparences sont structurantes, puisqu’il faut tout faire pour les conserver, derrière elles, les fissures et les fractures sont de plus en plus grandes.

Pour ajouter à leur désarroi progressif, leur voisin est un agent du FBI. Une manière, sans doute, de rappeler aux Américains que la surveillance du voisinage (voir ceci), dont le Neighborough Watch Program (Programme de surveillance du voisinage) est une des plus anciennes institutions, doit être une des premières préoccupations du citoyen modèle.

Et pour finir, la vie ne serait pas drôle non plus si quelques-uns n’ambitionnaient pas de la supprimer, comme ça, par pur plaisir, en esthète du crime gratuit, à ceux qui n’ont rien demandés d’autre que de vivre tranquille. Quand il n’y a plus d’ennemi à combattre, eux, sont toujours là. Au sein de cette engeance d’homme et d’assassin, la figure d’Hannibal Lecter fait visiblement référence. On ne visionnera donc non pas une mais deux séries sur le thème.

La première, Hannibal, se rattache directement au personnage. Elle raconte la jeunesse d’Hannibal Lecter. The Following (Les Suivants) narre, elle, la manière dont un disciple d’Hannibal Lecter parvient à faire école. Heureusement, cette fois encore, il y a toujours le justicier, sorti de l’incontournable FBI, pour jouer au chat et au lézard, les empêcher d’assassiner en rond, les traquer et les mettre sous les verrous.

Les sériphiles les plus mordus pourront, pour terminer, visionner quelques épisodes de la série documentaire Showrunners. Une série sur ceux qui fabriquent les séries...

Série mania a lieu jusqu’au 28 avril 2013. Le programme est ici

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Illustration : The House of Card avec Kevin Spacey

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