Menaces sur les Sand Hills du Nebraska

Le mardi 6 septembre 2011 par Soleillion

Depuis la mi-août, les manifestants contre le projet Keystone XL de transcanadaun gigantesque oléoduc, dont nous avions parlé l’année dernière, qui doit amener le pétrole sale issus des sables bitumineux de l’Alberta aux raffineries du Texas — ne quittent plus les abords de la Maison blanche. Plus de 1200 personnes ont été arrêtées.

Les manifestants refusent simplement de bouger quand on leur en donne l’ordre et ils se font emmener. Il y a quelques mois, les manifestants contre la décapitation des montagnes avaient utilisé la même technique. James Hansen, climatologue de la NASA, en était. Il en est encore et s’est donc à nouveau fait conduire au poste de police dans un acte de désobéissance civile tranquille et non violente. Parmi les autres personnalités, on peut citer la canadienne Naomi Klein.

Les soutiens à cette action viennent d’un peu partout des États-Unis et du reste du monde mais certains sont assez inattendus comme celui qui leur est arrivé, le 31 août, du Nebraska sous la forme d’une lettre adressée à Barack Obama et à Hilary Clinton et signé de la main du gouverneur de cet état du Midwest.

Dave Heineman, n’est pas un écologiste forcené. L’environnement ne fait pas partie de ses priorités. C’est un républicain qui ne se dit pas opposé par principe aux oléoducs. Certains traversent déjà son état.

Le projet Keystone XL lui pose cependant un grave problème qui pourrait se résumer par la célèbre formule : boire ou conduire, il faut choisir ! Dave Heineman a choisit, il préfère boire et faire boire ses administrés avec lui. Aucune histoire d’alcool ici, c’est l’eau du Nebraska qui est en cause.

Elle façonne le pays. Le nom même de l’état, déformé des langues amérindiennes (Omaha-Poncas), signifie « eau plate » à cause de la rivière Platte, déformation du français « plate » cette fois, qui le parcours d’Ouest en Est dans la partie méridionale de l’état.

Au nord, des milliers de lacs et d’étangs s’alignent entre de faibles collines qui, du ciel, semblent façonnées par le vent ; les Sand Hills (les collines de sables) ne sont rien d’autre qu’un ancien désert pétrifié. La verdure a recouvert les dunes et elles se sont gorgées d’eau comme une éponge. Ces étangs et les lacs ne sont souvent reliés par aucune rivière. L’eau remonte simplement du sous-sol par percolation. Ce sont des paysages uniques, peuplés d’une faune et d’une flore particulière, et assez préservés parce que rien n’y pousse. Seuls les troupeaux y paissent.

Ailleurs, dans les régions cultivées du Nebraska, les champs présentent souvent la forme étrange et parfaitement circulaire des cultures modelées pour l’irrigation. 46% des cultures céréalières sont irriguées car, tout pays de l’eau qu’il est, le Nebraska est un territoire semi-aride ; les lointaines Rocheuses arrêtent les pluies en provenance du Pacifique.

Seulement, l’irrigation est possible pour une raison simple : géologiquement, le Nebraska est assit sur un trésor ; une énorme réserve d’eau douce souterraine qui s’étend à peu près sous tout l’état avec une extension vers le sud qui coure jusqu’au Nord du Texas : on parle de l’aquifère Ogallala, un des plus grands au monde.

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L’eau dans les Sand Hills
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De superbes images des Sand Hills sur NET Nebraska.


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Une ressource vitale à laquelle il n’est pas question de toucher, encore moins de polluer, même pour du pétrole. D’elle dépendent les 17 milliards de dollars de revenus agricoles annuel du Nebraska. 83% des eaux d’irrigation, 73% des eaux potables de l’état en proviennent.

Or, le tracé de l’oléoduc Keystone XL à la mauvaise idée de faire passer - sur plus de 400 kilomètres - les tuyaux en plein milieu de cet aquifère précieux (voir carte ici). Les risques de pollutions évidents font peser de graves menaces sur cet écosystème fragile et ses ressources en eau.

Antécédents. En août 1979, dans le Minnesota, un oléoduc - qui appartient désormais à la société Endbridge Energy - se perce et libère 1,7 million de litre de pétrole brut dans un sol sableux et marécageux assez similaire à celui des Sand Hills. Trente ans après, les conséquences de cette pollution sont toujours étudiées par des équipes de scientifiques qui tentent de comprendre l’évolution du pétrole dans le sol.

Pour Dave Heineman, la menace est là, importante, et il ne veut surtout pas prendre de risques. Dans sa lettre, il écrit :

Le communiqué final sur les conséquences environnementales compare une éventuelle fuite dans la région des Sand Hills à celle de 1979 à Bemidji, dans le Minnesota et conclue que l’impact sur les eaux faiblement souterraines d’une fuite d’un volume similaire dans la région des Sand Hills n’affecterait qu’une région limitée de l’aquifère autour de l’endroit de la fuite. Je ne suis pas d’accord avec cette analyse, et je crois que l’oléoduc ne devrait pas traverser une portion substantielle de l’aquifère Ogallala.

Bemidji n’est d’ailleurs pas le seul et unique exemple dans l’histoire. Les pollutions et les "rivières noires" sont fréquentes aux États-Unis. Comme le rapporte le magazine High Country News, le premier juillet dernier, l’oléoduc souterrain Silvertip d’Exxon Mobile fuit et libère 42 000 gallons (un peu moins de 160 mille litres) de pétrole brut dans la rivière Yellowstone, pas loin de Laurel, dans le Montana. L’année dernière, en juillet, la rivière Kalamazoo, dans le Michigan, a connut un sort semblable : plus d’un million de gallons (un peu moins de 4 millions de litres) s’y déversèrent après la fuite d’un des oléoducs d’Enbridge.

Cependant, dans les rivières, le pétrole coule, salit, mais reste en surface. Dans les aquifères comme celui d’Ogallala, il pénètre, car les sols sont très poreux, et il devient pratiquement impossible de nettoyer. Il ne faut pas oublier que, la plupart du temps, les oléoducs sont enterrés à quelques dizaines de décimètres. Le pétrole est injecté directement dans le sol.

Même si l’argument de Transcanada est vrai, à savoir que les fuites n’auraient que des conséquences locales, un oléoduc peut se percer à plusieurs reprises, en plusieurs endroits et finir par polluer de larges zones. Selon la coalition Save Our Sand Hills (Sauvez nos Sand Hills), 12 fuites ont été recensées dans la première année d’exploitation de l’oléoduc de Transcanada qui coure à l’Est du Nebraska, dont une a libéré plus de 21 000 gallons (80 milles litres environ).

Ils y a donc des risques et les craintes de Dave Heineman en la matière ne sont pas à négliger. Elles pourraient poser un grave problème à Transcanada car il peut, en tant que gouverneur, interdire la traversée de son état ou de demander un changement de tracé. Une décision qui retarderait considérablement le projet mais, même si le gouverneur fait une sorte de baroud d’honneur politique sur cette question tant les pressions vont être très forte en provenance de Washington, il n’a pas vraiment le choix car la mobilisation au Nebraska est, elle-aussi, importante.

Les propriétaires terriens surtout y sont opposés. L’Union des fermiers du Nebraska a voté contre le projet Keystone lors de sa dernière assemblée générale et nombre d’entre eux participent aux manifestations. Outre les problèmes environnementaux que le projet Keystone pose, les fermier n’ont visiblement pas apprécié la manière dont Transcanada essaye de négocier, ou plutôt de leur imposer, le passage de l’oléoduc sur leur terre. Agressivité et pressions en tout genre seraient au rendez-vous.

Chapeau à large bord vissé sur la tête, Randy Thompson est un fermier du comté Merrick, au Sud-Est de l’état. Il est devenu l’égérie du mouvement, l’Astérix local, car depuis trois ans, il refuse les propositions et les avances de la compagnie pétrolière qui veut passer l’oléoduc sur ses terres. Les écologistes le soutiennent, notamment ceux du Sierra Club, comme le mouvement progressiste Bold Nebraska (Hardi Nebraska). Pourtant, ce cowboy, façon Kevin Costner dans l’Ouest sauvage, ne se définit pas ainsi.

Je ne me considère pas comme un environnementaliste au sens propre du terme, au lieu de cela, comme beaucoup de fermiers et d’éleveurs, je me considère comme un conservateur. Nous devons être conservateurs et gestionnaire de la terre parce que si nous ne le sommes pas, la terre ne nous donneras pas ce dont nous avons besoin pour survivre. Le gouvernement a reconnu le besoin de préserver notre eau, nos sols, et les autres ressources naturelles et il a dépensé des milliards de dollars pour soutenir divers programmes de préservation afin d’arriver à ces buts.

Construire un oléoduc géant et dangereux sur nos terres et nos ressources en eau remettra certainement en cause ses objectifs. Les dommages pour les fragiles Sand hills du Nebraska pendant la phase de construction remettront littéralement en cause des dizaines d’années de travaux de conservation, les éleveurs dans cette région du Nebraska ont essayé maintes méthodes différentes, années après années, pour garder leurs sols sablonneux de l’érosion. L’oléoduc représente un retard considérable à ces efforts.

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Randy Thompson et la protection des Sand Hills
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Un reportage d’Al Jazziera sur l’opposition au projet Keystone XL dans le Nebraska


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A l’opposé du costaud Randy Thompson, un tout petit nécrophore, gros de quelques millimètres se place aussi sur la route de l’oléoduc. Espèce menacée, l’American burying beetle vit dans les Sand Hills. Une partie de son habitat va être chamboulé par le passage de l’oléoduc, pendant la construction comme après. En hiver, les tuyaux chauffent avec le passage, sous pression, du pétrole lourds et produisent suffisamment de chaleur pour réchauffer les terrains environnants d’une dizaine de degrés. Suffisamment pour perturber l’hibernation de cet insecte.

Il est évident que ce n’est pas lui qui va entraver longtemps le projet de Transcanada. La compagnie est prête à payer des millions de dollars pour déplacer des insectes et financer des centres de recherches. Là n’est pas le problème. Cela fait partie de son travail et des coûts marginaux.

Cela pose surtout une question de fond. Nolens volens, les Américains sont condamnés à sortir du pétrole. Dans les Sand Hills comme ailleurs, le jeu en vaut-il donc la chandelle ? La préservation des Sand Hills que ce soit pour l’eau, pour l’élevage, pour les oiseaux, les insectes ou pour tout cela à la fois doit-elle être sacrifiée pour transporter une des énergies fossiles les plus sales qui soit ? Plus simplement encore, l’Amérique doit-elle se détruire pour maintenir quelques années encore un style de vie automobiliste irrémédiablement condamné ?

Malheureusement, on peut parier qu’elle va donner une réponse positive à cette question dans les années qui viennent. Même si les consciences se réveillent, même si de nombreuses initiatives sont prises, partout en Amérique du Nord, pour une plus grande indépendance envers les énergies fossiles, la crise économique, les taux de chômage très élevés, les tensions sur les approvisionnements pétroliers internationaux sont autant d’ingrédients qui poussent à une exploitation maximale des ressources nord-américaines pour maintenir, coûte que coûte, un mode de vie et le système économique qui va avec. Tel l’alcoolique prêt à boire n’importe quoi pour assouvir son besoin d’alcool sans se chaloir des conséquences néfastes sur sa santé, l’Amérique d’aujourd’hui va poursuivre sa quête de pétrole - ou de gaz - ou grand mépris de son environnement... qui pourtant l’abreuve et la nourrit.

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Renart Saint Vorles est un coureur des bois numériques nord-américains.

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