On n’est pas des bêtes
Regards cinématographiques sur le Sud louisianais

Le jeudi 18 avril 2013 par David Chéramie

Un petit film tourné dans les bayous a ravivé la question de notre image projetée sur le grand écran. Les bêtes du sud sauvage a pris la critique par surprise avec sa jeune interprète Quzenzhané Wallis dans le rôle de Hushpuppy Doucet. Les réactions positives semblent quasi-universelles, couvrant de louanges cette œuvre, le premier long métrage du metteur en scène, Behn Zeitlin, pour sa poésie lyrique et son aspect onirique. Il s’est inséré pendant un an dans la vie des habitants d’Île à Jean Charles, ce soupçon de village qui a servi d’inspiration pour la Baignoire, le cadre du film. Il est arrivé comme soufflé par les vents de Katrina pour comprendre cette région et le monde qui l’habite. De ces longues fiançailles est né le dernier d’une longue série de films qui porte un regard d’extérieur sur nous.

Ce n’est pas la première fois que la géographie exotique et le peuple unique de la Louisiane a attiré l’attention des praticiens du 7è art. Le tout premier Tarzan des singes a comme décor non pas l’Afrique, mais les marécages près de Morgan City. Ce film muet a initié une sorte de tradition hollywoodienne de faire le voyage relativement court et moins cher jusqu’à chez nous quand on cherchait un paysage lointain.

Tarzan des singes - 1918

Delores Del Rio est venue pour incarner Évangeline, notre héroïne nationale malheureuse. La « forêt primordiale » qu’on cherchait était bien celle de la Louisiane. Néanmoins, notre état était d’ores et déjà établi dans l’imaginaire cinématographique américain comme un pays étrange et étranger.

Extraits d’Evangéline d’Edwin Carewe avec Dolores Del Rio.

Louisiana Story de Robert Flaherty est sorti après la 2è Guerre Mondiale. Auparavant, il avait tourné Nanook du Nord, un film muet que certains considèrent comme un documentaire, même si Flaherty est accusé d’avoir mis en scène certaines séquences. Louisiana Story, aussi présentée comme un documentaire, est, au mieux, une fable sans intérêt sur la vie d’un jeune garçon cadien et son chaoui domestique, ou, au pire, de la propagande payée par l’industrie pétrolière pour vanter les bienfaits du forage. Que ce soit l’un ou l’autre, cette histoire n’est pas vraiment la nôtre. La réputation des Cadiens comme des tueurs invétérés du marécage épais et hostile jaillit sur le grand écran juste au moment où la nation découvre la culture cadienne avec la sortie de Southern Comfort. Encore aujourd’hui nous avons du mal à nous défaire de cette image de Délivrance sur le bayou. Depuis, il y a des exemples positifs de notre culture.

Louisiana Story de Robert Flaherty

Un extrait de Southern Comfort

Quelques extraits de Délivrance

Avec Bélizaire le Cadien de Glen Pitre, on commence à faire des films par nous et pour nous. C’était une production qui tentait de refléter ce que la culture cadienne avait à l’intérieur et le projeter vers le monde extérieur. Depuis, on a eu plusieurs films et documentaires dans cette même veine, notamment les travaux de Pat Mire ou de Connie Castille. On présentait enfin notre culture telle qu’on la vivait.

Et puis il y a eu Les bêtes du sud sauvage. Ce film m’a rendu physiquement et moralement malade. Peut-être l’effet voulu était-il d’imiter les bercements d’un navire ivre qui se balançait au gré des flots, ainsi symbolisant un pays à la dérive. Plusieurs personnes, moi y compris, ont dit avoir eu le mal de mer. Mon malaise ne venait pas tellement des secousses de la caméra, mais de l’histoire qui se déroulait devant mes yeux : un peuple qui refusait la technologie jusqu’au point de pêcher à la main, une fille qui habitait séparée de son père, une mère qui avait abandonné sa famille pour rejoindre un bordel, des gens qui se soûlaient toute la journée et tout le monde qui vivait dans une crasse immonde. Non, c’était trop pour moi, malgré la poésie de Hushpuppy et la participation de beaucoup de gens que je connais personnellement. C’était comme si plus de vingt-cinq ans de réhabilitation de l’image des Louisianais du sud a été balayée d’un coup. C’est une allégorie, certes, mais la réalité de la chose est qu’on est encore une fois présenté, comme le titre l’indique, comme des bêtes du sud sauvage. Je souhaite une longue carrière réussie à tout le monde associé à ce film, mais j’aurais aimé une autre image parce qu’on n’est pas des bêtes.

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Cet article a d’abord été publié, en anglais, sur le site d’Acadiana Profile

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Auteur :

David Chéramie est poète. Il vit en Louisiane. Il écrit sur son blogue

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