3 millions de pauvres en plus aux États-Unis...
Les pauvres sont un problème statistique avant tout

Le lundi 28 novembre 2011 par Soleillion

La visibilité statistique des pauvres dépend essentiellement de la façon dont on les comptent. Autrement dit, des critères retenus pour discriminer les pauvres de ceux qui ne le sont pas. Le chiffre de 46 millions de pauvres présenté par le Bureau du recensement au mois de septembre étaient déjà contestés, comme nous l’avons vu dans un article précédent (les exclus du rêve américain), par des organisations comme le Centre national de la pauvreté infantile (National Center for Children in Poverty – NCCP).

Les critères utilisés officiellement sont souvent dénoncés comme trop anciens pour établir correctement la réalité de la pauvreté d’aujourd’hui, aux États-Unis. D’un Américain sur six vivant en dessous du seuil officiel de pauvreté, il est possible, avec les modes de comptage du CNNP, de multiplier approximativement par deux ce nombre et d’écrire qu’un Américain sur trois vit proche de la pauvreté ou est pauvre ; c’est-à-dire qu’il n’a pas les ressources suffisantes pour subvenir à ses besoins fondamentaux. C’est peut-être un peu exagéré mais pas nécessairement irréaliste [1] .

Or, recompter avec d’autres critères, est exactement ce que vient de faire le Bureau du recensement [2] en prenant en compte des « mesures supplémentaires de pauvreté ». Résultat, le chiffre de 46,2 millions de pauvres, 15,1% de la population, annoncé en septembre dernier pour l’année 2010 est obsolète asteur. Trois mois après, le Bureau du recensement chiffre désormais à 49,1 millions le nombre de pauvres aux États-Unis.

Pour rappel, les critères initiaux, ceux du taux officiel de pauvreté, sont vieux de quarante ans. À l’époque, ils étaient simples et suffisants : le seuil de pauvreté des individus et des familles étaient calculés en multipliant par trois la somme minimale dont ils avaient besoins pour se nourrir.

Un mode de comptage qui oublie, aujourd’hui, les coûts de transport pour trouver – et garder – un travail ou bien les coûts liés aux soins des enfants ; il ne prend pas non plus en compte les différentes situations de santé des familles, entre celles qui disposent d’une assurance maladie et celles qui n’en disposent pas ; enfin, il ne tient pas compte des différences énormes du coût de la vie selon les régions : le Centre national de la pauvreté infantile a calculé un revenu minimum vital de 66 840 dollars pour une famille de quatre personnes à New York tandis qu’il n’est que de 42 748 dans le comté de Decatur, une région rurale de l’Iowa (soit encore deux fois le seuil officiel).

La mesure actuelle du seuil de pauvreté exclue aussi certains revenus, souvent des aides gouvernementales, qui diminuent l’effet de la pauvreté. Les coupons de repas distribués par les gouvernements, par exemple, ou les exonérations d’impôts peuvent être considérés ainsi. En les incluant, l’idée du Bureau du recensement est de mesurer plus précisément l’impact des aides sociales gouvernementales sur le niveau de pauvreté. De mesurer l’efficacité de ces transferts sociaux.

Nouvelles mesures : quels changements ?

Certains changements sont assez radicaux. Avec les mesures classiques et officielles, la pauvreté est surtout massive chez les mineurs. À l’inverse, les adultes et les plus de 65 ans apparaissent comme relativement peu touchés.

Les nouveaux critères changent cette vision. Si les mineurs restent majoritairement les plus pauvres, ils le sont moins avec les critères corrigés (18,2%, 13 millions de jeunes environ) qu’avec les critères officiels (22,5%, un peu moins de 17 millions de jeunes). L’explication tient principalement au fait qu’ils bénéficient d’importantes aides gouvernementales que ce soit sous la forme d’aide aux familles ou des programmes (aides alimentaires) dont ils bénéficient à l’école.

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Le blogue America polyphony a récemment mis en ligne ce documentaire de la chaîne CBS sur le nombre croissant de famille et donc de jeune vivant dans des voitures ou des camions suite à des pertes d’emplois et surtout aux saisies immobilières massives entraînées par la crise financière.

Par ailleurs, la pauvreté des familles monoparentales constituées d’un père et de ses enfants, comme dans ce reportage, a été revue à la hausse par les mesures supplémentaires de pauvreté passant de 18,4% officiellement à 22,7% avec les mesures corrigées. Un taux qui se rapproche de la pauvreté bien connue et largement supérieur, autour des 30%, des familles monoparentales constituées d’une mère et de ses enfants.

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La pauvreté des adultes (18-65 ans) reste relativement stable (13,5 à 15,2%). En revanche, la pauvreté des plus de 65 ans explose. Ces derniers voient leur taux passer de 9% à 15,9% de la population avec les mesures supplémentaires de pauvreté, soit de 3,5 à plus de 6 millions de personnes. L’explication tient simplement dans la prise en compte des soins médicaux très importants chez les personnes âgées.

Les soins médicaux expliquent également le véritable gouffre social entre ceux qui possèdent une assurance maladie privée, d’une part, soit les deux tiers de la population américaine, et ceux qui, d’autre part, ne bénéficient que des assurances maladies publiques ou qui ne sont pas assurés du tout, soit le tiers restant, environ cent millions de personnes. Le taux de pauvreté chez les premiers est officiellement de 4,8%/ Il passe à 7,5% avec les mesures corrigées. Les seconds, ceux qui n’ont que les assurances maladies publiques, sont à 37,6% officiellement. Un taux qui tombent à 31,7% avec les mesures corrigées des aides publiques. Chez ceux qui ne sont pas assurés du tout, les taux sont respectivement de 29,2% et 30,7%.

Parmi les différentes catégories raciales, la pauvreté chez les Noirs diminue avec les mesures supplémentaires de pauvreté – elle passe de 27,5 à 25,4% – tandis qu’elle augmente chez les hispaniques - de 26,7 à 28,2%. Pour la première fois, les Hispaniques apparaissent comme plus pauvres que les Noirs. La différence la plus importante, pourtant, entre les mesures officielles et les mesures supplémentaires de pauvreté se trouve chez les Asiatiques. Leur taux passe de 12,1% à plus de 16,7% respectivement. Les nouvelles mesures montrent aussi une plus grande pauvreté chez ceux qui sont nés à l’étranger. L’écarts entre les deux taux est supérieurs à 5%.

En affinant les critères, le seuil de pauvreté varie selon les cas. Ce n’est plus véritablement un seuil mais une zone frontalière dans laquelle les individus et les familles, selon leurs situations respectives, basculent dans la pauvreté. Par exemple, en 2010, le seuil est officiellement de 22 113 dollars pour une famille de quatre personnes (deux adultes et deux enfants). En affinant simplement les critères de logement (avec prêt, sans prêt, etc.) le seuil de pauvreté pour les différents cas oscille alors entre 20 590 dollars et plus de 25 000 dollars de revenus annuels.

Géographiquement, le Sud et le Midwest, des régions à fortes concentrations de pauvres, voient leur taux diminuer légèrement avec les nouvelles mesures. En revanche dans l’Ouest, la pauvreté apparaît plus importante (4% de variation). Le coût du logement en est la principale explication.

Finalement, en changeant de critères de comptage, les statisticiens américains ont surtout tendance à révéler un plus grand nombre d’Américains en difficulté. La prise en compte des aides sociales ne transforme pas leurs bénéficiaires en riches. Les milliers de jeunes qui bénéficient des programmes d’aides alimentaires ou autres sortent des statistiques corrigées, mais ils restent aux marges de la pauvreté officielle et statistiques. En réalité, ils sont pauvres.

Avec près de 50 millions de personnes, les pauvres sont plus nombreux que les Californiens et les Texans réunis. Le risque étant, encore une fois, que malgré ces mesures d’ajustement, la population des pauvres soient encore très largement sous estimée aux États-Unis.

 Pour aller plus loin : le rapport complet sur les Mesures supplémentaires de pauvreté du Bureau du recensement est à lire ici (en anglais)

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Le 9 juillet 2013 par Soleillion

Auteur :

Renart Saint Vorles est un coureur des bois numériques nord-américains.

Notes :

[1Dans un article publié le 29 novembre 2011, le site TomDispatch confirme cette estimation : un américain sur trois est soit sous le seuil de pauvreté, soit proche de la pauvreté. Le premier groupe compte 49,1 millions de pauvres tandis que le second compte 51 millions de gens proche de la pauvreté

[2Les discussions sur les critères de mesure de la pauvreté datent d’une dizaine d’année. Ce que vient de faire le Bureau du recensement, c’est de les officialiser


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