Le Congrès mondial acadien de 2014
Promenade dans l’Acadie des terres et des forêts

Le samedi 13 mars 2010 par Soleillion

L’Acadie n’existe pas, n’existe plus, pourtant l’Acadie existe. Sans frontières géographiques précises, l’Acadie vit surtout là où il y a des Acadiens, donc principalement dans les provinces maritimes du Canada, mais aussi aux Etats-Unis, en France et partout ailleurs dans le monde.

L’idée, née au cours d’un repas au homard en 1988, sera concrétisée pour la première fois en 1994. Le Congrès mondial acadien, de cette année là, premier du nom, réunit près de 300 000 personnes. Ce fut le plus grand rassemblement d’Acadiens et de Cadiens depuis le Grand Dérangement de 1755-1762 - la déportation des Français de Nouvelle Écosse par les Anglais. Depuis 1994, les Congrès mondiaux acadiens se succèdent tous les cinq ans, avec une moyenne de 50.000 participants, et permettent à tous les acadiens et les familles acadiennes de se retrouver, d’échanger, et d’envisager l’avenir.

Compte-tenus de la réalité territoriale de l’Acadie, ces congrès ne se tiennent jamais au même endroit. Même si le Nouveau-Brunswick se taille la part du lion parmi les dernières éditions, l’édition de 1999 eut lieu en Louisiane et celle de 2004 en Nouvelle Écosse, la province d’origine de tous les Acadiens. C’est en août dernier que la Société nationale acadienne a décidé que l’édition de 2014 se tiendrait dans l’Acadie des terres et des forêts dont le cœur est la Légendaire République du Madawaska.

Or, cette région n’existe pas non plus ! Du moins, elle n’a aucune frontière légale et elle s’étend - elle aussi - sur plusieurs Provinces et État ; elle est à cheval sur la frontière usano-canadienne parce qu’elle coure tout le long de la Rivière Saint Jean. Ainsi, si le cœur de l’Acadie des terres et des forêts est Edmunston au Nouveau-Brunswick (voir ici une carte du Nouveau-Brunswick), la ville de Madawaska, elle, est de l’autre côté de la rivière, et donc aux Etats-Unis. Inversement, le Comté d’Aroostook, un peu plus au sud, est aux Etats-Unis, mais la ville d’Aroostook, elle, est au Nouveau-Brunswick. Le Congrès mondial acadien de 2014 se fera donc avec la collaboration de trois régions : le nord du Maine et plus particulièrement le Comté d’Aroostoock, la Municipalité régionale du comté de Témiscouata au Québec et le nord-ouest du Nouveau-Brunswick.

Pour comprendre cette région francophone transfrontalière, il est nécessaire de remonter dans le temps. Lors du Grand Dérangement quelques colons se fixèrent à Sainte-Anne des Pays-Bas qui deviendra l’actuelle Fredericton, mais ils en furent chassés par des Loyalistes qui fuyaient la Révolution américaine. Les Acadiens remontèrent alors le fleuve Saint-Jean vers le Nord-Ouest et se fixèrent, en 1783, autour de l’actuel Edmunston. Ils fondent le Comté de Madawaska. Peu de temps après, des Canadiens-français, venus du Bas-Canada, l’actuel Québec (donc de l’Ouest), à la recherche de terres fertiles, les rejoignent ; quelques Écossais, Irlandais ou Anglais, plus les Amérindiens, les Malécites, qui eux étaient déjà sur place, sont également à la base du peuplement de la région.

On parle donc ici d’une Acadie un peu particulière, singulière, retirée, loin de l’Acadie traditionnelle des côtes. L’isolement géographique est une donnée importante dans l’histoire de la région : elle est à des centaines de kilomètres des principaux centres du Québec ou du Nouveau-Brunswick.

Peut-on même parler d’Acadie ? En effet, les francophones de cette région ont une identité très forte, qui, selon les époques, s’affirme proche ou plus distincte de l’Acadie : les habitants, selon Jacques Paul Couturier de l’Université de Moncton [1], se revendiquent souvent plutôt comme des « Brayons de la légendaire république du Madawaska. » République imaginaire peut-être mais qui a son drapeau, les Brayons ayant par ailleurs des traditions culinaires, des fêtes, un accent, un vocabulaire, voire des journaux propres et ... un nom différent.

La dénomination de « République du Madawaska » traduit bien d’ailleurs le sentiment d’indépendance de ces habitants vis à vis des autres régions... et même de la France ! Comme le dit le sitoile CyberAcadie,
le mythe de la "République du Madawaska" (car de fait, ce n’est pas une vraie république dans le sens politique) tire son origine d’une réponse faite à un fonctionnaire français, en tournée d’inspection pendant la période de contestations, par un vieux colon du Madawaska, qui le trouva aimable et poli mais à son gré trop inquisiteur : "Je suis citoyen de la République du Madawaska" avec toute l’ampleur du vieux Romain disant : Je suis citoyen de Rome", et la morgue du londonien déclarant, surpris qu’on ne s’en soit pas aperçu, "I am a British subject."
Et le nom même de Madawaska vient du nom donné par les Amérindiens "Madoueskak", signifiant terre des porcs-épics. Prémonitoire ! Qui s’y frotte ...

En outre, si leur territoire est relativement indéfinis au moment de leur installation, les Madawaskayen vont avoir à faire, pendant toute la première moitié du XIXe siècle à la définition des frontières : entre les Provinces dans un premier temps, puis entre le Canada et les États-Unis - on parle même de la drôle guerre d’Arroostook, qui ne fit pas couler le sang ; la frontière n’ayant été fixée qu’en 1842 par le traité de Webster-Ashburton. Des tracés, des incertitudes et des tensions induites qui renforceront le sentiment d’appartenance à un territoire distinct quelques soient les frontières imposées.

Malgré tout, les liens avec le reste de l’Acadie sont constants et des passerelles existent entre les deux identités : l’histoire originelle est commune, la défense de la langue, une même religion, le catholicisme, contribue à faire des Républicains ou des Brayons du Madawaska, des Acadiens. Les choses, de faits, évoluent constamment. Comme l’écrit Jacques Paul Couturier dans la conclusion de son étude :

Tout au cours du XXe siècle, l’identité régionale est en chantier, oscillant
entre l’adhésion à une vision désenclavée de soi-même, reposant sur une
communauté de langue et de territoire (avec l’Acadie), et une fidélité teintée d’exclusivisme aux particularités locales. (Dans la première moitié de XXe siècle), l’effort de construction identitaire est alimenté par le patriotisme d’une élite cherchant à construire des ponts avec celles des autres régions et à faire progresser la cause nationale (acadienne). (Dans la seconde moitié), il cherche à traduire en une identité propre un sentiment de distinction et de différence par rapport aux collectivités acadiennes et québécoises voisines. Au regard de l’évolution de la situation dans la deuxième moitié du siècle, l’identité acadienne du Madawaska, qui est au cœur de l’effort de construction identitaire du début
de la période étudiée, peut sembler préfabriquée. Elle l’est peut-être, mais
les identités républicaines et brayonnes qui sont issues du deuxième courant de composition identitaire le sont tout autant. Elles expriment peut-être une réalité, mais la manière dont elles l’expriment, à travers le concept de République ou dans la Foire brayonne, tire en bonne partie sa source d’initiatives banalement touristiques. Telle est la raison derrière la création des deux éléments qui contribuent le plus à former l’identité madawaskayenne actuelle. Par ailleurs, tout un ensemble de facteurs, de l’isolement géographique à la composition démographique en passant par l’histoire et la compétition économique, entrent en jeu dans les processus de construction identitaire qui se manifestent au Madawaska au cours du siècle. L’identité est un enjeu, pas simplement culturel, mais aussi économique et politique ; son impact dépasse le cadre régional pour interpeller aussi l’Acadie dans son ensemble. Le cas du Madawaska montre clairement que l’on ne peut pas expliquer l’identité acadienne sans tenir compte des identités régionales. La question identitaire en Acadie se comprend à travers l’identité des régions qui la composent.

A l’aube du XXIe siècle, la tenue du Congrès mondial acadien de 2014 est donc un signe fort pour un certain retour de l’Acadie des terres et de forêts dans le giron de l’identité nationale acadienne. Une façon, peut-être, de se sentir plus fort ensemble à l’aube d’un nouveau siècle qui s’annonce particulièrement féroce pour les identités particulières. Bref, la longue histoire des Acadiens continue.

Pour aller plus loin :

 Le site du Congrès mondial acadien de 2014.

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Le mardi 1er janvier 2013 à 19h41
alain a clavit
Le Congrès mondial acadien de 2014

Deux couples de français, Paris et Berry, souhaitent venir et participer. Nous sommes en train d’organiser ce voyage. Nous louerons un véhicule et nous deplacerons du Maine au Quebec, au New brunswick, a gaspe, etc. Nous souhaitons avoir des contacts et notre problème essentiel se trouve dans le logement. Nous recherchons des gîtes mais craignons un encombrement du a la forte demande a cette période.
Quels sont vos conseils ?
Merci

Source de l’illustration : Cap Acadie

::::::::: A lire aussi :::::::::
Auteur :

Renart Saint Vorles est un coureur des bois numériques nord-américains.

Notes :

[1« La République du Madawaska et l’Acadie : la construction identitaire d’une région néobrunswickoise
au XXe siècle
 » Jacques Paul Couturier in Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 56, n° 2, 2002, p. 153-184.


Blogueville

Doyen de la faculté des arts de Winnipeg au Manitoba et président de la société franco-manitobaine, Ibrahima Diallo est devenu l’une des figures de la lutte pour les droits des francophones dans la province.

Germain Tanoh est un mathématicien d’origine ivoirienne, créateur d’entreprise et fondateur de l’association Le repère francophone.

Le comité de développement économique des Territoires du Nord-Ouest renforce ses structures d’accueil pour les immigrants francophones.

Le Rond Point est la grande messe des francophones de l’Alberta. On y aborde à peu près tous les sujets. Le voici vu de l’intérieur.

Canadiens, Québécois, Africains ou autres, tous les francophones de Colombie-britannique n’auront plus qu’un seul centre d’accueil en français.

L’Archipel des communautés francophones d’Amérique du Nord ne cesse de révéler ses îles et îlots à celui qui voyage les yeux ouverts. Dean Louder nous emmène à Frenchtown, dans l’état de Washington.