Quand les enfants travaillaient...

Le mardi 12 juin 2012 par Soleillion

À l’aube du XXème siècle, partout aux États-Unis, des enfants travaillaient. Dans les champs, dans les mines, dans les usines, dans les ateliers à sueur, main d’œuvre meilleure marché que les adultes, à huit ou dix ans, ils pouvaient découper des sardines, ramasser des pommes de terres, filer le coton, trimbaler des paquets...

Selon le recensement de l’année 1900, ils étaient 1.752.187, entre cinq et dix ans, à gagner leur vie : un enfant sur six ; mais ce nombre allait croissant : entre 1880 et 1900, il augmenta de 50%. En réaction, le 25 avril 1904, au Carnegie Hall de New York se tint une grande assemblée de tous ceux qui, inquiets du problème, voulaient y remédier.

Le Comité national du travail des enfants (National Child Labor Committee - NCLC) était né. Reconnu en 1907 par un acte du Congrès, il va livrer bataille jusqu’en 1938, combattant état par état et au niveau fédéral, pour que le travail des enfants soit sérieusement encadré par la loi. Il poursuivra son action pendant la guerre puis jusqu’à nos jours.

Sur le modèle de l’Administration pour la sûreté des fermes (Farm Security Administration) qui sut, dans les années 30, envoyer une poignée de photographes, dont la célèbre Dorothea Lange, rendre compte de l’Amérique de la grande dépression, le Comité national du travail des enfants trouva son « porte-image » en la personne d’un professeur de sociologie d’une école de New-York, l’école de la culture éthique (Ethical Culture School) qui croyait en la photographie comme moyen de sensibilisation aux problèmes sociaux.

Lewis Wickes Hine naquit à Oshkosh, dans le Wisconsin le 26 septembre 1874. Après des études à Chicago, il les poursuivit à New York où il acheta son premier appareil photo en 1903. En ce début de siècle, la ville connaissait une pauvreté noire, notamment celle des immigrants. Hine va utiliser la photographie pour rendre compte et devenir, peu à peu, l’un des pionniers du documentaire photographique à caractère sociologique.

Son premier travail consista à photographier les immigrants d’Ellis Island et les enfants pauvres de New York qui travaillaient dans les petits ateliers de confection, ces fameux ateliers à sueurs, souvent familiaux et insalubres, situés dans les arrières cours des immeubles de rapport, les tenements.

En 1908, il publia son premier livre de photographies et commença la même année à travailler pour le NCLC. Son travail sur les enfants, il le mènera pendant dix ans ; photographiant le prolétariat infantile au quatre coins de l’Amérique ; publiant des livres qui contribuèrent à faire connaître, à dénoncer et à faire évoluer la législation fédérale sur le sujet.

Par la suite, Lewis Wickes Hine fut envoyé en Europe, pendant la première guerre mondiale, pour suivre les actions de la Croix rouge américaine. Il continua ensuite à photographier et portraiturer « les hommes au travail », dans l’industrie ou lors de la construction de l’Empire States Building. Beaucoup de ses photographies demeurent célèbres [1].

Hine revendiquait une photographie brute. Les images devaient « montrer les choses à corriger » dans toute leur nudité crue mais sans exagération. Il ne souhaitait pas grossir le trait de la pauvreté des enfants qu’il photographiait, notamment par la mise en scène de ses sujets. Pour lui, le témoignage du photographe devait, pour convaincre vraiment, s’exempter de toute accusation de trucage.

Cette crudité du regard donne encore une grande fraîcheur à ses photographies d’enfants, de gamins de rues ou d’usines. Beaucoup d’ailleurs ne sont presque pas posées, par choix, mais aussi une nécessité. Les patrons des usines, des filatures par exemple, ne n’accueillaient pas de bon cœur la visite d’un photographe dans leurs ateliers. Ils lui en refusaient, bien souvent, l’entrée. Pour contourner ce problème, Lewis Wickes Hine cachait son appareil et se faisait passer pour un inspecteur des incendies. Pour ne pas éveiller les soupçons, il avait appris à prendre des notes dans sa poche, à écrire à l’aveugle.

L’effet sur l’opinion publique américaine fut énorme et le travail de Hines devint un relais très important de celui du NCLC. Ironie ou logique du sort, comme on voudra, les photographies de Hine, témoin de la pauvreté, de la misère et du prolétariat, lui apportèrent la postérité mais pas la fortune, loin de là. Le photographe des pauvres mourut, lui aussi, dans une extrême pauvreté, en 1940, onze mois après avoir été chassé de sa maison parce qu’il était incapable d’en payer les traites.

En 1954, le NCLC déposa toute sa collection à la Bibliothèque du Congrès : plus de 5.000 photographies et 300 négatifs. Numérisées, elles sont en ligne depuis 2006.

Il était une fois en Amérique...

+ Toutes les photographies ci-dessous proviennent de la Collection du Comité national du travail des enfants conservée et diffusée par la Bibliothèque du Congrès des États-Unis.

erratum : ce jeune garçon ci-dessus cueille 5 à 10 kilos "par jour"

Source du portrait de Hines

Deux vidéos (en anglais) sur le travail de Hines contre le travail des enfants.

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Le dimanche 11 novembre 2012 à 19h49
maxaxama a clavit
Quand les enfants travaillaient...

Très intéressant ! J’ai été privilégiée dans mon enfance et les jeunes du 21e siècle le sont encore plus.

Le jeudi 7 mars 2013 à 11h51
Antoun S a clavit
Quand les enfants travaillaient...

Je vous remercie pour cet article fort enrichissant. Ces photos sont étonnantes, déjà là en voyant ces enfants bien trop jeunes pour travailler, mais contraints de le faire par nécessité ou ceux qui fumaient. Même si l’Amérique et la majorité des pays ont évolué depuis, il est triste de constater que le problème de l’exploitation des enfants existe encore de nos jours dans certains pays.

Antoun Sehnaoui

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Renart Saint Vorles est un coureur des bois numériques nord-américains.

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