On a roulé sur l’Amérique
4 000 km (en vélomobile) pour convaincre

Le dimanche 7 août 2011 par Soleillion

L’Amérique s’interroge. Pourquoi est-elle aussi réfractaire au vélotaf ? [1] Autrement dit, le vélo pour aller travailler, en costard-cravate, en tailleurs, en petite jupe, en habit du dimanche... Pas celui qui sert à aller vite et à faire du sport. Seulement, 0,6 % des Américains pédalent pour penduler : faire l’aller-retour de la maison au lieu de travail. La majorité d’entre eux sont des étudiants. Le salarié usanien, lui, continue massivement de prendre sa voiture... sans se soucier des pistes cyclables.

Pourtant, pour de nombreuses raisons, l’Amérique a besoin du vélotaf. Elle doit diminuer sa dépendance au pétrole. Lutter contre l’obésité et le manque d’exercice quotidien. Fluidifier sa circulation urbaine et limiter les embouteillages.

Les édiles l’ont compris. De plus en plus de pistes cyclables sont aménagées dans les grandes villes. New-York, Chicago ou la verte Portland [2] s’y sont mises. Mais, comme l’explique Elisabeth Rosenthal, rien ne changera tant que le vélo restera, dans l’esprit de la majorité des américains, un véhicule pour faire du sport, ou celui des pauvres et des farfelus. Les livreurs de pizzas ou les coursiers new-yorkais, amateur de pignons fixes, étant un savant mélange des deux. Les villes les plus vélotafistes d’Amérique ont à peu près la même réputation. Ce sont de petites villes étudiantes ou des nids d’écolos, comme Boulder, dans le Colorado, la quatrième au classement.

Bref, rien à voir avec la culture du vélos ailleurs dans le monde. En France, en Espagne, en Chine, en Bolivie même, la culture du vélotaf est bien plus présente, bien plus commune au sein de toute la population active. La Hollande ou le Danemark, surtout, sont les pays du vélo. Tout le monde le sait.

Ce qu’on sait moins, c’est qu’un vélo un peu spécial, le vélomobile, inventé par le français Charles Mochet dans les années 30, y connaît une sorte de renaissance. Au Pays-bas, les principaux (petits) ateliers de constructions, notamment les vélomobiles Quest ou Sunrider, ont des carnets de commandes pleins pour des années. Avec l’augmentation des prix du pétrole, cette situation risque de durer. Les Danois, les Allemands ou les Suisses ne sont pas en reste. Go-one, Leitra, Leiba, sont des marques issues de ces pays là. Les tricycles-couchés carénés y sont très populaires, soit, plus précisément, plus populaire qu’ailleurs en Europe. En France, un peu plus en Angleterre, ce n’est encore l’affaire que d’une poignée de passionnés. En Amérique aussi, mais comme le pays est plus grand et plus peuplé, la poignée de farfelus, ou d’avant-gardistes comme on voudra, est plus grosse.

Pourtant l’Amérique connait les vélomobiles, surtout les spéciaux, ceux qui battent les records. À Battle Mountain, sur une route perdue du Nevada, les vélomobiles à deux roues, cette fois, sont les véhicules à propulsion humaine les plus rapides du monde. Pour les filles, c’est une française, Barbara Butois, qui détient à la fois le record de vitesse (121, 437 km/h) et le record de l’heure (84 km en une heure) établit, lui, à Détroit ; des records obtenus grâce au fabricant colombien-britannique Varna et son Tempest. Le même véhicule a permit au cycliste canadien Sam Whittingham d’atteindre, en 2009, toujours à Battle Mountain, 133,284 km/h lancé. Depuis un ou deux ans, les concepteurs français arrivent. Les étudiants de l’IUT d’Annecy se sont lancés dans la bataille sous une bonne étoile : leur vélomobile Altaïr.

Le vélomobile, ça va vite, même dans sa version tricycle, plus pratique tout de même pour rouler sur route ou en ville. La position couchée améliore les performances physiques d’à peu près 20% et l’aérodynamisme de l’engin fait le reste. Même si, en montée, le poids reste un handicap, en descente, ces vélos dépassent facilement les 100 km/h. Sur plat, un vélomobiliste arrive aisément à des moyennes deux fois supérieures à celle d’un cycliste normal. Rouler sous la pluie n’est plus non plus un problème.

La journaliste Elisabeth Rosenthal se demande s’il est possible que les Américains apprennent quelque chose des Européens en matière de vélotaf. Ce pourrait bien être le cas avec le vélomobile. Entre vélo et petite voiture, ces objets roulants pas encore très bien identifiés venus de la Baltique pourraient être une solution très adaptée aux problèmes de transports urbains et péri-urbain usaniens.

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Un vélomobile, une petite voiture tout simplement !
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Dans la vidéo suivante, on remarquera l’assimilation poussée qui est faite entre le vélomobile et la voiture, puis l’accent sur la santé.

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Encore faut-il le démontrer. En faire la promotion. Montrer qu’il est possible d’aller loin avec de telles machines. Une cinquantaine de vélomobilistes vont tenter de le faire, cet été, en traversant les États-Unis de part en part. Une petite moitié vient d’Europe, essentiellement des Pays-bas et d’Allemagne, plus quelques Anglais et un Autrichiens, tandis que l’autre est américaine et vient d’à peu près partout, même si la Côte Ouest (Californie, Oregon) est très représentée. On compte un Albertain, venu du Canada voisin.

Roll Over America (Rouler à travers l’Amérique) est le nom de cette grande traversée de 4000 km entre Portland, dans l’Oregon et Washington, DC. Son acronyme, ROAM, comme la distance parcourue, d’un océan à l’autre, font référence à une autre course américaine, la RAAM pour Race Across America (la course à travers l’Amérique). Une course de cyclisme extrême, sans étapes, où celui qui traverse le continent le plus rapidement possible est le vainqueur. Les meilleurs mettent un peu plus de 8 jours.

L’allure ici sera beaucoup plus tranquille. Ce n’est pas une course mais une longue randonnée, avec des étapes sérieuses tout de même de plus de 200 km. La traversée devrait prendre quatre semaines. Après l’Oregon, les vélomobilistes traverseront l’Idaho, le Montana, les deux Dakota, le Minnesota, le Wisconsin, l’Ohio, la Pennsylvanie et le Maryland.

L’objectif affiché de cette traversée, clairement énoncé sur le site de la ROAM, est de faire la promotion du vélomobile comme moyen de transport quotidien auprès des Américains car en Europe, disent-ils, il serait d’un usage... commun ! Et de joindre les villes les plus cyclables des États-Unis, celle où le vélo est le plus utilisé pour penduler ou vélotafer. Portland, dans l’Oregon, Missoula, dans le Montana, ou Madison, dans le Wisconsin, en font partie, ils y feront étapes.

Chose curieuse, même si l’idée n’est pas de visiter les cousins d’Amérique, on ne peut s’empêcher de remarquer qu’il y a une affinité culturelle indéniable entre ce parcours et les initiateurs germano-néerlandais de cette aventure. Les populations des états traversés, surtout pour les premiers, sont, en effet, en grande majorité issue de l’immigration allemande, scandinave, du Nord de l’Europe de façon générale, aux State-unis. Comme s’il y avait un lien inconscient entre cette pratique du vélo, le vélotaf ou vélomobile, et une sorte de substrat culturel germano-scandinave.

On peut prendre quelques illustrations dans le classement, publié par The Atlantic, en juin 2011, des villes les plus vélotafistes des États-Unis. Pour les premières, le taux des vélotafeurs tourne autour des 5% de la population active et il est encore à 2,22% à Iowa city, dans l’Indiana, la quinzième du classement. Il n’est qu’à 0,6%, rappelons-le, pour l’ensemble des Américains .

C’est Eugene, dans l’Oregon, qui arrive en tête. Or, même si plus du quart de sa population a des origines anglaises (14,8%) ou irlandaise (13,1%), 20% a des origines germaniques. Avec les origines danoises ou scandinaves on dépasse le quart. Fort Collins-Loveland, dans le Colorado, Missoula, la troisième, située dans le Montana, et Boulder, la quatrième, dans le Colorado, sont dans le même cas. 20 à 30 pour cent de leur population est d’origines germano-scandinaves. On note le même phénomène pour la plupart des villes les plus cyclables des États-Unis. Inversement, plus ces taux diminuent moins les villes accordent de place et d’importance au vélo, en général, et au vélotaf, en particulier.

Il est, bien sûr, impossible d’en faire une règle absolue. Tout le monde fait du vélo. On trouvera des exceptions sans difficultés, dans les Appalaches ou en Pennsylvanie notamment, où les origines de la population sont majoritairement allemandes et où la pratique du vélo n’est pas si développée. D’autres facteurs interviennent, évidemment.

L’article de The Atlantic les précisent. Pour vélotafer, il vaut mieux être sur la Côte-Ouest (5 villes sur les 15 du classement de The Atlantic), dans l’Ouest (5 villes) ou le Middle West (3 villes) que sur la côte Est ou dans le Sud. Dans des villes universitaires [3], ou plus généralement des villes où la "classe créative" [4] (cherheurs, ingénieurs, architectes, artistes, écrivains, etc.) est forte. On vélotafe plus dans villes où les salaires sont plus élevés en moyenne, ouvertes à l’immigration et où les communautés homosexuelles sont très présentes.

Néanmoins, et ce n’est pas incompatible, il est possible qu’une certaine culture du corps, de la santé, de l’hygiène physique de manière générale, soit véhiculée par les cultures germaniques et scandinaves. Le fondateur et co-président du groupe consacré au vélo à la chambre des représentants à Washington et le parrain politique, en quelque sorte, de la ROAM s’appelle Earl Blumenauer, il est un des représentants démocrate de l’Oregon. Les prosélytes vélomobilistes, sans doute plus ou moins inconsciemment, ne sont pas allés mettre les roues n’importe où.

C’est qu’utiliser les convergences ou les affinités culturelles pour développer un produit n’est pas idiot et l’Amérique représente, potentiellement, un énorme marché pour les vélomobiles. Go-one a déjà une succursale dans le New Jersey. Or, les marques américaines ou canadiennes restent très peu nombreuses. On trouve des projets, comme celui du styliste, Joseph Campbell, qui vise à rendre le vélomobile "plus américain" ; ce serait un vélomobile, plus large, plus haut, plus confortable en somme que les vélomobiles européens trop aérodynamiques à son goût. À ce jour, cependant, la majorité des participants américains à la ROAM roulent dans des Quest néerlandais. Les seuls à ne pas le faire sont des concepteurs qui roulent dans leurs propres prototypes.

Le Pterovélo, le "vélo ailé", est l’un deux. Outre son logo, un ptérodactyle, et un nom très sympathique, une ligne d’épaulard de la route, il montre que lorsque les Américains se mettront à fabriquer des vélomobiles il faudra compter avec eux et leur sens du commerce et de la communication. Son concepteur est un jeune trentenaire américain d’Oklahoma city. Son nom ? Frans van der Merwe, natuurlijk !

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Auteur :

Renart Saint Vorles est un coureur des bois numériques nord-américains.

Notes :

[1Terme formé de vélo et de l’acronyme « taf » qui signifie : travail à faire. « Aller au taf », c’est aller au travail.

[2Dans cette ville, l’usage du vélo comme moyen de transport quotidien pour aller travailler à augmenté de 238% entre 2000 et 2008 (source)

[3Eugene est le siège de l’Université de l’Oregon. Boulder est le siège, en autre, du Centre national de recherches sur l’atmosphère

[4Une notion qui reste controversée parmi les urbanistes, lire ici


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