Quand l’Amérique travaille avec son anglais...

Le mardi 23 juillet 2013 par Jeanson de Piquelasne

Voici l’été venu. Beaucoup de jeunes et de moins jeunes, étudiants ou non, vont profiter des vacances pour partir en séjour linguistique afin de perfectionner leur anglais. Même si aujourd’hui il est préférable de maîtriser plusieurs langues, notamment l’espagnol, la langue de Shakespeare et, surtout, celle de Noah Webster [1] continue d’être un sésame pour toute personne qui recherche un emploi, surtout si celui-ci est à l’international. Et rien de mieux que les séjours en immersion pour progresser.

Pour l’Amérique du Nord, la langue anglaise est une une bonne opération. Elle attire sur le continent des milliers d’étudiants qui non seulement prennent des cours mais vivent aussi, mangent, visitent, dépensent. Oui mais combien ? Pour tenter d’y voir un peu plus clair, voici un petit voyage chiffré au sein de l’industrie nord-américaine de l’anglais.

Selon les derniers chiffres publiés par l’Institut de l’éducation internationale, 72.711 étudiants y ont suivis des programmes d’anglais intensif en 2011 ; soit un peu moins de 10% de l’ensemble des étudiants étrangers présents aux États-Unis. Ils sont plus nombreux que les années précédentes : 50.676 en 2010, 51.282 en 2009, autour de 44.000 dans les années 2003-2005. Il faut remonter au tout début des années 2000 pour retrouver des chiffres aussi élevés : 78.521 en 2001, 85.238 en l’an 2000. Le Canada, en 2010, fait mieux. Cette année-là, les 154 programmes d’anglais intensifs canadiens qui ont répondu à l’enquête des statistiques canadiennes ont accueillis 136.906 étudiants [2].

Convertit en « semaine-étudiante », ces chiffres sont encore plus parlant. Comme le définit le British Council [3], une semaine-étudiante est comptabilisée à partir du moment où un étudiant a suivi 10 heures de cours, au minimum, dans la semaine [4]. En 2011, donc, les 72.711 étudiants en programme intensif d’anglais aux États-Unis représentent 1.089.296 « semaines-étudiantes », soit une quinzaine de semaines en moyenne par étudiant. Une autre étude relayée par le Study Travel magazine, menée en 2012 et portant sur une vingtaine d’école d’anglais, montre que les étudiants séjournent, en moyenne, une douzaine de semaines aux États-Unis et qu’ils prennent une vingtaine d’heure de cours par semaine, en moyenne toujours. Au Canada, les 136.906 étudiants en représentent 1.134.638, soit à peu près 12 semaines par étudiant. Les pays ont donc des résultats assez comparables.

Les chiffres canadiens disponibles étant un peu plus précis, on peut se rendre compte que la grande majorité des étudiants (44%) reste entre 4 et 12 semaines, soit un à trois mois, et 23% séjournent entre 13 et 24 semaines. Ils sont finalement assez peu nombreux à faire des programmes courts de moins de quatre semaines (12%). Enfin, un bon quart des étudiants restent plus de 25 semaines ; très peu poursuivent leur séjour linguistique au-delà d’un an. En majorité, presque 81% des étudiants internationaux en programme d’anglais intensifs restent moins de six mois.

Sans grande surprise, l’étude du Study travel magazine pour les États-Unis montre que la grande majorité (56,7%) des étudiants ont entre 19 et 30 ans, dont 34% pour les 19-24 ans. La moyenne d’âge se situe autour de 26 ans.

D’un point de vue géographique, certaines régions attirent beaucoup plus que d’autres. Au Canada, la Colombie-britannique se taille la part du lion parmi les provinces. En 2011 toujours, elle compte à elle seule pour 44,4 % des étudiants en programmes de langue de courte durée. Ensuite vient l’Ontario avec 36,7% des étudiants. Les autres provinces se partagent les 19% restant ; sachant que le Québec et l’Alberta tournent chacune autour de 7%...

Aux États-Unis, nous n’avons pas trouvé de chiffres aussi précis, mais les associations comme l’association américaine des programmes d’anglais intensif (English USA) ou, mais de façon moins complète, la carte de l’association des programmes intensifs d’anglais des collèges et des universités ou encore celle de StudyUSA – un organisme privé qui a l’avantage d’être multilingue – sont de bons indicateurs.

La Californie reste l’état numéro un pour les étudiants en général et donc pour les étudiants en langue anglaise en particulier. English USA donne 67 programmes d’anglais intensif uniquement pour l’état doré. Ensuite viennent les autres grands états universitaires : l’état de New-York (avec 22 programmes), la Floride (20), le Texas (17), le Massachussetts (17 également dont la plupart à Boston). Des états comme le Colorado ou le Michigan en compte une petite dizaine mais la Louisiane, le Maine ou le Montana n’en compte qu’un ou deux.

La carte de l’Institut de l’éducation international sur les programmes intensifs d’anglais résume ainsi leur nombre par grandes régions : l’Ouest en compte 198, le Sud-Ouest, 55, le Sud, 134, le Nord-Est, 156, et le Midwest, 135.

Les chiffres usaniens sont en revanche plus précis sur l’origine des étudiants qui suivent les programmes intensifs d’anglais aux États-Unis. En 2011, les Saoudiens sont nettement majoritaires (26%) selon une tendance qui se confirme depuis quelques années. Les Saoudiens étaient seconds avec 7.404 étudiants en 2009, premiers déjà, en 2010, avec 11.236 étudiants. En 2003-2004, ils n’étaient qu’un peu plus de 300 contre un peu plus de 2.000 en 2001.

Malgré cette poussée des étudiants arabes, la grande majorité sont asiatiques. Même si leur présence diminue depuis quelques années, les Japonais ont été les premiers pendant toutes les années 2000 ; ils sont suivis par les Sud-Coréens dont la part diminue mais avec des effectifs à encore sept et dix mille étudiants par an depuis quatre ou cinq ans. Les Chinois, en revanche, ont pris une part de plus en plus grande depuis qu’il leur est plus facile d’obtenir des visas. Au début des années 2000, la Chine n’envoyait qu’un petit millier d’étudiants environ. En 2011, ils furent 11.236 à venir étudier aux États-Unis, soit 15% de l’ensemble des étudiants internationaux en anglais intensif.

Ensuite, viennent les étudiants sud-américains, surtout les Brésiliens (plus de 4.000 en 2011) et les Vénézuéliens (autour de 1.000 étudiants). Les Européens ne viennent qu’après avec en tête les Allemands (951 en 2011), puis les Français et les Italiens (entre cinq et six cent étudiants par pays). Sachant que le nombre de Français diminue régulièrement ; ils étaient trois fois plus nombreux au début des années 2000 (autour de 1.500).

En terme de retombées financières, il est assez difficile de savoir combien les étudiants étrangers en programme intensif d’anglais rapportent à l’économie en générale des deux pays. Pour 2010, le ministère des Affaires étrangères canadien les estime à 788 millions de dollars canadiens, soit un peu plus de 10% environ des revenus globaux générés par les étudiants étrangers présents au Canada. Ils créeraient à eux seuls plus de dix mille emplois et rapporteraient 48 millions au gouvernement canadien. Vu que le nombre d’étudiants en programmes d’anglais intensif sont à peu près les même, les revenus américains doivent être d’un même ordre de grandeur.

Une étude générale sur le marché des cours de langues aux États-Unis publiée fin 2012 par Ibis World estime le marché des cours de langue privés à 956 millions de dollars pour 32.420 emplois et 12.662 entreprises avec un taux de croissance de 0,6% entre 2007 et 2012 et une prévision de croissance à 1,7% par an jusqu’en 2017... uniquement si la croissance de l’économie américaine tourne autour de 1,8%. Le marché des cours de langues est très sensible aux fluctuations de l’économie américaine.

Cette étude ne concerne cependant pas les cours d’anglais intensifs proposés par les institutions éducatives classiques (écoles, universités, etc.), seulement les cours de langues privés. Elle n’est pas limitée non plus au cours de langue anglaise, ni aux étudiants étrangers, même si ceux-ci comme ceux-là sont probablement largement majoritaires.

De la même façon, Langues Canada, la principale association du secteur langagier au Canada, donne, pour 2012, les chiffres suivants : 149.965 étudiants dans 184 programmes publics et privés certifiés à l’échelle du Canada pour 592 millions chiffres d’affaire direct (frais d’inscription) et 1,855 milliards de retombées financières pour le pays. Encore une fois, il ne s’agit pas uniquement de l’anglais, mais également des cours de français et d’autres langues. Même si l’anglais doit, là encore, être majoritaire.

L’origine des étudiants, au Canada, est à peu près la même qu’aux États-Unis. Les cinq plus importants pays d’origine sont : la Corée du Sud (22.222 inscrits), le Japon (21.069), l’Arabie Saoudite (19.316), le Brésil (18.629) et la Chine (15.676). La plupart se retrouvent en Colombie-britannique.

La province pacifique compte 68 des 184 programmes dont 50 privés ; 66.900 étudiants (45%) dont un bon quart sont japonais et sud-coréens ; 250 millions de revenus directs ; 644 millions de revenus indirects.

L’Ontario vient ensuite avec 63 programmes dont 41 privés ; 51.516 étudiants (34%) dont plus de la moitié sont sud-coréens, japonais, saoudiens, ou brésiliens avec à peu près sept mille étudiants par nations ; 224 millions de revenus directs et 589 millions de revenus indirects pour la province. Les autres provinces se partagent le reste.

Selon une autre étude de Statistiques Canada, plus ancienne, il y avait 249 écoles de langues en 2004 [5] pour un peu moins de 200.000 inscrits et une moyenne de 800 élèves par école ; avec de grandes variations entre les provinces : 1.584 élèves en Ontario, en moyenne, pour seulement 444 au Québec.

Cette étude précise également le type d’inscrits : 64% des écoles de langues canadiennes visaient les étudiants étrangers. Une proportion qui montait à 89% en Colombie-britannique, 66% en Ontario, mais seulement 29% au Québec [6]. À cette époque, déjà, les Asiatiques étaient largement majoritaires.

La taille des écoles varient aussi. À l’échelle du Canada, il y avait peu de petites écoles de moins de 50 inscrits (15%). Peu également de grosses écoles entre 1.000 et 3.000 inscrit (15%) ou au-delà (5,8%). La majorité (50%) se situant entre 50 et 499 inscrits.

D’un point de vue individuel, chaque étudiant dépense donc plusieurs milliers de dollars uniquement pour participer à des séjours linguistiques et apprendre l’anglais. Au Canada, les étudiants en programme courts dépensent, selon Langues Canada, 305 dollars canadiens en moyenne par semaine de cours, soit près de 2.400 dollars pour deux mois de cours et, évidemment, beaucoup plus si le séjour s’allonge au-delà.

Les prix peuvent être beaucoup plus chers. Une session d’été à l’université de Berkeley coûte entre 2.620 et plus de 5.000 dollars pour 3 à 6 semaines de cours (4-5 heures de cours par jours, 5 jours par semaine) en fonction du niveau. L’Université de l’Oklahoma est un peu moins chère : 2.382 dollars pour une session d’été. La session de printemps, donc d’un semestre, de 2014, sera facturée 12.384 dollars à l’Université de l’Arkansas. Mais ce prix comprend les frais d’inscription, entre 3.500 et 4.500 dollars, les frais d’assurance, 658 dollars, le logement et les frais de bouche, 2.819 dollars et, enfin, les livres, 600 dollars.

Car, au frais d’inscription, il faut ajouter les frais afférents au séjour lui-même. Langue Canada estime ainsi qu’au 305 dollars de frais d’inscription hebdomadaires, il faut ajouter 206 dollars par semaine pour le logement, cent dollars pour la nourriture, 35 pour les transports et 50 pour les dépenses autres. Une semaine de séjour linguistique revient donc à près de 600 dollars canadiens par étudiant.

Si on part sur cette même base aux États-Unis, on peut estimer que les cours d’anglais intensifs (avec, pour rappel, 1.089.296 de semaines-étudiantes en 2011) ont générés, au moins, 654 millions de dollars de revenus. Comme sus-dit, Ibis World estime le marché américain des écoles de langues (toutes langues confondues) à plus de 950 millions de dollars ; le Canada estime à 788 millions de dollars canadiens les revenus générés par les cours d’anglais intensif ; Langue Canada estime le marché des langues (toutes langues confondues) générateur de près de 2 milliards de revenus pour près 600 millions de frais d’inscription.

On mesure ainsi l’avantage d’avoir une langue hypercentrale : des dizaines de milliers d’étudiants venus du monde entiers investissent chaque année des milliers de dollars en Amérique du Nord simplement pour améliorer leur anglais et, par ce biais, espérer trouver un meilleur emploi que les autres.

Illustration : Jeunes étudiants saoudiens participant à un camps d’été d’expression anglaise à l’Université de Caroline orientale

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Curieux de beaucoup trop de choses, Jeanson de Piquelasne aime bien les universités nord-américaines, surtout les campus et leurs grands arbres rouges à l’automne indien...

Notes :

[1un des premiers lexicographes américain et réformateur de l’orthographe anglaise en vue de libérer, même d’un point de vue linguistique, les Américains de la domination de l’Angleterre

[2De fait, ces données ne concernent que les membres de l’association Langue Canada, par les autres ; elle sous-estime donc la réalité des programmes d’anglais intensif au Canada

[3Ce lien renvoie vers un fichier .doc

[4si un étudiant prend 15 ou 20 heures de cours dans une semaine, cela compte pour une semaine-étudiante, s’il en prend 5 ou 9, cela n’est pas compté dans les statistiques

[5dont 81 en Colombie-Britannique, 60 en Ontario, 48 au Québec et le reste dans les autres provinces

[6si le marché des écoles de langues était moins important au Québec qu’en Colombie-britannique, le marché de la traduction était lui beaucoup plus développé. Un peu comme en Ontario.(Voir page 18)


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